Qu’est-ce que l’ascendance génétique ?

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Ce texte est une version modifiée d’un article de blog écrit il y a deux ans. Etant donné l’intérêt croissant pour les tests d’ascendance génétique au cours de ces deux dernières années, la question « qu’est-ce que l’ascendance génétique ? » mérite d’être reposée.

Article originel de Joe Pickrell. 

Toute personne ayant utilisé les tests génétiques commerciaux comme ceux proposés par 23andMe, AncestryDNA ou Gencove connaît la notion « d’ascendance génétique ». Après vous avoir fait parvenir un kit salivaire, nous vous renvoyons les résultats de l’analyse qui vous indiquent le pourcentage de votre ADN qui se rapproche le plus de telle ou telle population de la planète.

A un niveau superficiel, il semble relativement facile d’en arriver à cette estimation : on observe le génome de quelqu’un, on applique des statistiques fantaisie et on en arrive à des chiffres du style « 21,5 % Britannique ou Irlandais » ou « 40 % Grande Bretagne, 6 % Irlande, ou « 79 % Europe du Nord et Centrale » (ce sont les chiffres de mes propres résultats, qui m’ont été remis respectivement par 23andMe, AncestryDNA et Gencove. Un lecteur astucieux se demandera : Mais attendez, ces chiffres ne devraient-ils pas être les mêmes partout ? Gardez-donc ceci à l’esprit pour la suite).

Résultats d’ascendance génétique de trois entreprises différentes (GenePlaza, 23andMe et AncestryDNA) pour un même individu

Dès que l’on se penche un peu plus sur « l’inférence de l’ascendance génétique », on se retrouve très vite aux royaumes de la sociologie et de la psychologie plutôt que dans les domaines de la statistique et de la génétique.

Pour comprendre pourquoi, il est important de commencer par le début : quel est donc le but de « l’inférence de l’ascendance génétique » ?

« Qu’est-ce que l’ascendance génétique » ?

Il est une question utile pour les personnes qui travaillent sur des algorithmes et souhaitent en savoir plus sur l’ascendance en utilisant des données génétiques : « Comment décririez-vous vos ancêtres ? » Essayez donc de répondre à cette question. Demandez à des amis. Enquiquinez des étrangers sur la toile.

repartition of DNA origins ancestry
What is DNA Ancestry map

Si les gens à qui vous vous adressez ressemblent un tant soit peu à ceux avec qui j’ai discuté, les réponses se diviseront en deux grandes catégories :

  1. Beaucoup de gens utilisent des classifications géographiques pour décrire leurs ascendants, souvent en fonction des frontières politiques actuelles. Par exemple, « Français » ou « Chinois ».
  2. Beaucoup de gens utilisent des catégories ethniques pour décrire leurs ascendants. Par exemple « Juif » ou « Caucasien » [1].

Imaginons que la définition « correcte » de « l’ascendance génétique » ait quelque chose à voir avec ces réponses, données sans trop réfléchir. Cela suggère que les gens s’attendent à ce qu’un « test d’ascendance » génétique augure les catégories géographiques et/ou ethniques dans lesquelles s’inscriraient leurs ancêtres.

Malheureusement, lorsqu’on s’assied et que l’on essaie d’écrire un algorithme pour atteindre cet objectif, on voit immédiatement apparaître deux problèmes décourageants.

Problème numéro 1 : de quelle distance dans le temps parlons-nous ?

Nos ancêtres ont évidemment vécu à des époques différentes. Il se peut que huit de vos ancêtres aient vécu il y a 100 ans, mais que des milliers d’entre eux aient vécu il y a 500 ans. Alors à qui appartiennent les catégories géographique et/ou ethnique que l’on essaie de découvrir ? A des ancêtres ayant vécu 100 ans en arrière ou à ceux qui vivaient il y a 500 ans ? (Ou 1 000 ans ? Ou… ?)

Une première hypothèse raisonnable nous mène à penser que lorsque les gens parlent de leur ascendance, ils se réfèrent en général à des ancêtres récents, de telle sorte que la « bonne » réponse à cette question pourrait être quelque chose de l’ordre de « 100 ans auparavant ». Ce qui n’est pas totalement satisfaisant : aux Etats-Unis il y a beaucoup de gens dont les ancêtres ont immigré des centaines d’années auparavant mais qui pensent que leur ascendance est (par exemple) « britannique » ou « chinoise » plutôt que « michiganienne » ou « californienne ».

Il n’est donc pas toujours évident de savoir à quelle époque se réfèrent les gens lorsqu’ils pensent à leur ascendance. D’ailleurs, il semble plausible que la distance temporelle « correcte » à donner dans un test d’ascendance dépende… de l’ascendance de l’utilisateur. Ce qui devrait nous amener à comprendre que l’ascendance génétique est un concept plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.

Problème numéro 2 : Les marqueurs d’ascendance génétique sont influencés par des facteurs sociaux et politiques

Tout cela devient encore plus évident lorsque l’on aborde un problème fondamental : certaines des catégories que nous considérons comme faisant partie de l’ « ascendance » sont fortement influencées — parfois même déterminées — par des facteurs sociaux et politiques. De toute évidence, aucun marqueur ne change lorsque quelqu’un se convertit au judaïsme, ou lorsque le territoire où vit une personne est annexé par un pays voisin. Mais ces évènements ont souvent des influences dramatiques sur la façon dont les descendants perçoivent leurs ancêtres, de par la transmission culturelle de la langue et des traditions.

En effet, la construction d’une identité ancestrale partagée a été (et reste) une façon de consolider un pouvoir politique sur diverses cultures (voir par exemple le cas de Franco en Espagne). La génétique ne perçoit pas toutes ces données, sauf après des centaines ou des milliers d’années (si les identités partagées influencent les modèles de mariage et/ou de migration ultérieurs).

Une solution possible

Pour contourner tous ces problèmes, on pourrait rêver d’une liste détaillée de nos ancêtres à différentes époques ; pour chaque ancêtre, on indiquerait sa localisation géographique et toutes ses auto-identifications ethniques. On pourrait alors dire, par exemple, qu’il y a 100 ans, 25 % de nos ancêtres vivaient dans l’Illinois et étaient identifiés comme Juifs, alors que 500 ans en arrière, 5 % de vos ancêtres vivaient dans ce que l’on connaît aujourd’hui comme l’Andalousie et étaient identifiés à des Musulmans [2].

Malheureusement, l’obtention d’une bonne partie de ces informations à partir de données génétiques est actuellement impossible, et nous devons donc faire des compromis et des approximations dramatiques [3]. Plus être plus précis, l’approche adoptée par toutes les entreprises commerciales tente d’évaluer les régions géographiques globales où ont vécu vos ancêtres (et dans un tout petit nombre de cas leurs marqueurs d’appartenance ethnique), à une certaine époque indéterminée du passé, probablement quelques centaines d’années auparavant.

Tout cela vous semble un peu vague ? C’est sûrement parce que ça l’est. Les expressions « régions géographiques globales » et « certaines époques indéterminées du passé » laissent énormément de marge de manœuvre et permettent des interprétations fort diverses [4].

Mais la clé du problème réside dans ce qui suit : si l’on substitue l’objectif actuellement irréalisable de comprendre à la perfection la géographie et l’ethnicité de nos ancêtres par celui, plus réaliste, d’une compréhension globale de certains d’entre eux, on peut avancer un peu. Bien sûr, cela peut sembler un peu décevant, en ce sens que nous avons abandonné l’exactitude et l’objectivité promises par un « test génétique », mais il y a tout de même deux raisons de rester optimistes :

  1. Dans de nombreux cas, la compréhension approximative peut déjà être riche de sens. Des millions de personnes ont acheté ces tests. Certaines ont découvert des aspects de leur histoire familiale cachés (je suis d’ailleurs l’une d’entre elles). D’autres ont découvert des erreurs hospitalières qui les ont conduits à des incompatibilités déroutantes entre leurs ascendances culturelle et ethnique. D’autres enfin ont été confrontées à l’héritage génétique de l’esclavage dans leurs propres génomes. Ce type d’informations peut être extrêmement fort.
  2. Plus il y a de gens qui participent, mieux c’est.  Le développement des bases de données génétiques permet l’émergence de nouvelles méthodes statistiques pour étudier l’ascendance génétique. Chez Gencove nous avons réussi à mettre à jour nos algorithmes plusieurs fois au cours des derniers mois pour fournir des analyses plus détaillées ; et cela pour une simple et bonne raison : comme pour la plupart des algorithmes d’apprentissage automatique, plus les données d’entraînement sont nombreuses, plus on obtient de bonnes performances, puisque l’on identifie les variantes/combinaisons de variantes qui sont le plus à même de prédire la localisation géographique de vos ancêtres.

Si vous souhaitez nous aider dans notre travail sur la prochaine génération d’algorithmes d’inférence d’ascendance génétique, contactez-nous !

Références :

[1] Bien que le Caucase soit une région géographique, le mot « caucasien » est utilisé aux Etats-Unis en tant qu’identificateur ethnique, pratiquement synonyme de « blanc ».

[2] On pourrait avoir envie de savoir si l’on a réellement hérité du matériel génétique d’un ancêtre ou d’un autre, mais évitons pour le moment d’ouvrir cette boîte de Pandore et supposons que les propriétés de vos ancêtres généalogiques sont les mêmes que celles de vos ancêtres génétiques.

[3] Dans la version antérieure de cet article, j’ai écrit que cela était en fait impossible. Je suis aujourd’hui convaincu que je me trompais, et que c’est un problème extrêmement difficile — mais pas impossible — à résoudre.

[4] Notez les différentes proportions d’ascendance que 23andMe, AncestryDNA, et Gencove m’ont fait parvenir. La plupart des gens considère ces différences comme des solutions algorithmiques à une seule et même question, mais il est tout à fait possible que les algorithmes utilisés par les trois entreprises répondent à des questions légèrement différentes ! Par exemple, il se peut que l’algorithme de 23andMe se penche sur une ascendance à peine plus récente en moyenne que celui d’AncestryDNA (Je crois d’ailleurs que c’est effectivement le cas). Sur ce sujet en général, la publication géniale de Debbie Kennett qui compare les résultats des trois firmes vaut vraiment le détour.

 

Qui sommes-nous et comment sommes-nous arrivés ici ? David Reich — de nouvelles découvertes grâce à l’ADN ancien

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Dans une étude fascinante, le généticien montre les effets des migrations et la nature métisse de l’Humanité grâce aux progrès du séquençage de l’ADN.

 

« Selon une étude d’ADN ancien, l’arrivée des peuplades du campaniforme a transformé la Grande Bretagne pour toujours » — voilà ce que titre le Guardian au mois de février, à propos de gens dont les ancêtres se trouvaient en Europe Centrale et plus à l’est dans les steppes. L’auteur de cette étude, le généticien de Harvard David Reich, nous livre enfin dans son ouvrage la première ébauche d’une histoire vraie des 5 000 dernières années.

La génétique a commencé à complémenter le travail effectué par les archéologues et les linguistes dans les années 1990, grâce à l’œuvre du mentor de Reich, le généticien italien Luca Cavalli-Sforza ; la génétique était alors le parent pauvre de ces disciplines car elle ne possédait que très peu de données. Mais cela a bien changé. Le génome est un palimpseste qui conserve de fortes traces du passé, de sorte que les populations actuelles peuvent révéler des choses ayant à voir avec les mouvements de celles qui les ont précédées. Ce qui a tout changé, c’est la possibilité, dès 2010, de séquencer l’ADN directement à partir des restes d’êtres humains anciens, parfois vieux de 40 000 ans.

Reich revisite les récentes avancées de la cartographie de l’histoire des premiers Humains, mais ses découvertes les plus spectaculaires concernent un passé plus récent. Les développements les plus importants de l’histoire humaine ont eu lieu au cours des 10 000 dernières années — après le retrait glaciaire — et pour l’Europe, les 5 000 dernières années sont essentielles. Bien que les études d’ADN ancien aient maintenant largement dépassé l’archéologie et la linguistique pour devenir la meilleure source de connaissance des populations humaines préhistoriques et de leurs migrations, elle s’articule avec ces deux disciplines au sein d’un processus où elles se renforcent les unes les autres.

Le travail de Reich peut enfin répondre à la question passionnante qu’avait d’abord posée un fonctionnaire britannique, Sir William Jones, qui a découvert en 1786 le lien de parenté entre le sanscrit et le grec ancien. Ce qui a conduit à la reconnaissance d’une vaste famille de langues indo-européennes qui comprend les langues germaniques, celtiques, italiques, certaines langues du Proche-Orient (l’iranien) et du nord de l’Inde (Hindi, Ourdou, Bengali, Punjabi, Marathi, etc.). Cependant, il n’existait pas à l’époque de consensus sur la façon dont tout cela avait pu se produire. Reich a démontré que les langues indo-européennes et la majeure partie de la composition génétique de l’Europe et du nord de l’Inde résultent de migrations datant d’il y a 5 000 ans, des migrations provenant des vastes steppes, ces plaines herbeuses qui bordent les mers Noire et Caspienne.

Sépulture campaniforme – Image du Musée de la Préhistoire des Gorges du Verdon

La plupart des personnes d’origine européenne entretiennent des liens génétiques et linguistiques étroits avec les peuples du Proche-Orient et ceux du nord de l’Inde. Ces gens étaient des pasteurs nomades qui conduisaient des véhicules à roues, montaient des chevaux domestiqués et commençaient à utiliser des produits laitiers — un ensemble de caractéristiques qui devait garantir leur domination partout où ils allaient. Leurs migrations ont été le moteur de l’âge de Bronze. Homère décrit une société où les chefs de guerre gagnaient en prestige et en richesses en perpétrant viols et pillages. Ce n’est pas très agréable à entendre, mais c’est très conforme à ce que nous savons aujourd’hui des porteurs de la culture de Yamna (les peuples du campaniforme représentaient la vague occidentale des migrations Yamna). A propos de leurs migrations à prédominance masculine, Reich commente : « les hommes des populations les plus puissantes ont tendance à se lier avec les femmes de populations moins puissantes ».

Il reconnaît, et c’est tout à son honneur, les abus commis à partir des histoires d’origines — notamment par l’idéologie nazie — et reconnaît que certains idéologues voudront exploiter — et contester — ses découvertes. Il est fascinant de savoir que la plupart des personnes d’ascendance européenne possèdent des liens étroits, génétiquement et linguistiquement, avec les peuples du Proche-Orient et du nord de l’Inde, mais qu’en est-il globalement et quelles sont les implications de ces nouvelles découvertes ?

La leçon essentielle à tirer de l’ADN ancien est que les populations d’un même endroit ont radicalement changé à plusieurs reprises depuis la grande expansion humaine post-glaciaire, et le fait de reconnaître la nature essentiellement hybride de l’Humanité devrait l’emporter sur toute notion de connexion mystique, de longue date, entre les peuples et l’endroit où ils se trouvent. Nous sommes tous, pour reprendre l’étiquette railleuse de Theresa May, « des citoyens de nulle part ». Les gens du campaniforme ont remplacé 90 % de la population de la Grande-Bretagne il y a environ 4 500 ans. Il faut ajouter à cela l’idée que toute vie, depuis ses débuts, a été un processus essentiellement improvisé et impur. Comme l’indique Reich : « les idéologies qui cherchent un retour à une pureté mystique volent en éclat face aux sciences dures ». Ses découvertes ont aussi d’importantes implications pour le domaine médical. Par exemple, ses recherches en Inde ont montré les conséquences profondes de la consanguinité des systèmes de castes. Il existe par exemple un très grand nombre de maladies récessives — dans certains couples les deux partenaires portent des gènes mutants inscrits depuis longtemps dans la lignée. Ces populations facilitent la chasse aux gènes parce que les gènes récessifs s’accompagnent de marqueurs caractéristiques.

L’image globale peinte par de Reich acquerra avec le temps beaucoup plus de détails — tout comme la grande étude de Darwin, qui n’était que le début de quelque chose, et non pas une fin. Nous devrions lui être reconnaissants, ainsi qu’à sa grande équipe de collaborateurs et à son épouse Eugenie Reich (écrivain scientifique qui a joué un grand rôle dans la création de son ouvrage) puisqu’ils nous transmettent aujourd’hui l’histoire essentielle. Leurs travaux sont captivants, tant par leur clarté que par leur portée.

Une révolution quant à notre façon de comprendre la dépression va transformer nos vies

L’article original a été publié dans The Guardian par Edward Bullmore, responsable du département de Psychiatrie de l’Université de Cambridge, et auteur de The Inflamed Mind (éditions Short Books). La dépression sévit dans de nombreuses familles, c’est bien connu. Mais ce n’est que très récemment, et après énormément de controverses et de frustrations, que l’on commence à savoir comment, et pourquoi. Les découvertes scientifiques majeures signalées la semaine dernière par le Psychiatric Genomics Consortium dans Nature Genetics représentent une avancée durement gagnée pour notre compréhension de ce trouble très commun et potentiellement invalidant.

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Si vos parents ont souffert de dépression, vos chances d’en pâtir ou d’en avoir pâti augmentent considérablement. Le risque de faire une dépression est de un sur quatre pour l’ensemble de la population — chacun d’entre nous a donc 25 % de chances de vivre une dépression à un moment donné de sa vie. Et si vos parents étaient dépressifs, vos risques de l’être augmentent à un sur trois.

Cependant, la controverse a longtemps tourné autour du débat nature versus éducation. Le fils dépressif d’une mère dépressive est-il victime de l’éducation inadéquate et de l’environnement émotionnellement froid, et peu affectueux que cette dernière lui a procuré au cours de ses plus tendres années ? Ou bien est-il déprimé parce qu’il a hérité des gènes dépressifs de sa mère qui ont déterminé biologiquement son sort émotionnel, indépendamment des compétences parentales ? Est-ce la nature ou l’éducation, la génétique ou l’environnement qui expliquent la dépression au sein des familles ?

Au XXème siècle, les psychiatres sont ingénieusement arrivés à certaines des réponses à ces questions. On avait par exemple constaté que des vrais jumeaux — dont l’ADN est identique à 100 % — étaient plus susceptibles de vivre des expériences de dépression similaires que des faux jumeaux, qui ne partageaient que 50 % de leurs séquences ADN. Ce qui indiquait clairement que la dépression est génétiquement héritable. Mais au vingt-et-unième siècle, l’identité précise des « gènes de la dépression » n’est toujours pas claire. Depuis 2000, des efforts considérables de recherche ont été réalisés pour découvrir ces gènes, mais le champ a été brouillé par de fausses espérances et des résultats peu cohérents.

C’est pour cela que l’étude publiée la semaine dernière constitue un évènement marquant : pour la première fois, des scientifiques du monde entier — avec des contributions majeures de centres de recherche en génétique psychiatrique du Royaume Uni, largement financés par le Medical Research Council à l’Université de Cardiff, à celle d’Edimbourg et au King’s College de Londres — ont réussi à combiner des données d’ADN sur un échantillon suffisamment long pour localiser les régions du génome associées à un risque accru de dépression. On sait donc maintenant, et on peut en être presque certains, quelque chose d’important sur la dépression dont on n’avait pas idée l’année dernière à la même époque : sur les 20 000 gènes que comprend le génome humain, au moins 44 contribuent à la transmission du risque de dépression d’une génération à l’autre.

Oui mais voilà. Cela soulève pratiquement autant de problèmes que cela n‘en résout. Attardons-nous un peu pour commencer sur le fait qu’il existe de nombreux gènes à risque ; chacun d’entre eux contribue à une petite quantité de risques. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une preuve irréfutable, d’un gène solitaire qui fonctionnerait comme un interrupteur binaire, causant inévitablement la dépression chez les gens suffisamment infortunés pour en hériter. Soyons plus réalistes : nous héritons tous de certains de ces gènes impliqués dans la dépression et nos chances de déprimer dépendent en partie de la quantité de ces gènes et de leurs effets cumulés. A mesure que la recherche avance et que des échantillons toujours plus grands d’ADN sont disponibles pour des analyses, il est probable que le nombre de gènes associés à la dépression augmente encore.

Tout cela nous apprend donc que nous ne devrions pas poser de limites entre « nous » et « eux », entre les patients atteints de dépression et les gens bien portants : il est beaucoup plus probable que notre héritage génétique, fort complexe, nous situe sur un continuum de risques que nous partageons tous.

Quels sont ces gènes et que nous disent-ils des causes profondes de la dépression ? Il s’avère que nombre d’entre eux sont connus pour jouer un rôle important dans la biologie du système nerveux. Ce qui correspond à l’idée que les perturbations de l’esprit doivent refléter des perturbations sous-jacentes du cerveau.

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Et il y a plus surprenant encore : un grand nombre de gènes influant sur le risque de dépression jouent également un rôle dans le fonctionnement du système immunitaire. Il y a de plus en plus de preuves que l’inflammation, la réaction de défense de notre système immunitaire face à des menaces telles que l’infection, peut provoquer une dépression. On prend également de plus en plus conscience du fait que le stress social peut entraîner des inflammations accrues de l’organisme. On sait depuis des décennies que le stress social est un facteur à très haut risque pour la dépression. Et aujourd’hui, il semblerait que l’inflammation puisse être l’un des chaînons manquants : le stress provoque une réaction inflammatoire de l’organisme, qui entraîne des changements dans la façon de fonctionner du cerveau, lesquels provoquent à leur tour les symptômes mentaux de la dépression.

Connaître les gènes qui influent sur le risque de faire une dépression a aussi des implications importantes pour les traitements pratiques. Il n’y a eu aucune avancée de taille dans les traitements depuis les années 1990 environ, bien que la dépression soit la principale cause unique de handicap médical au monde. Nous devons trouver de nouvelles voies thérapeutiques et la nouvelle génétique est un excellent point de départ pour la recherche de traitements qui puissent réduire de façon plus précise les causes ou les mécanismes de la dépression. On pourrait aisément imaginer la conception, dans le futur, de nouveaux antidépresseurs qui pourraient cibler les protéines inflammatoires codées par les gènes influant sur les risques de dépression. Il est passionnant de penser que la nouvelle génétique de la dépression pourrait également déboucher sur des progrès thérapeutiques en psychiatrie.

Enfin, bien que je pense que ces découvertes de la génétique soient essentielles, je ne les vois pas comme devant mener à des divisions idéologiques. Elles ne prouvent pas que dans le cas de la dépression, « tout se passe dans le cerveau », ni que les traitements psychologiques sont inutiles. La génétique jouera biologiquement un rôle prépondérant mais si nous comprenons mieux le champ d’action de ces « gènes de la dépression », nous pouvons peut-être découvrir que nombre d’entre eux contrôlent la réponse du cerveau ou du corps face au stress lié à l’environnement dans lequel nous évoluons. Et dans ce cas, le meilleur traitement pour un patient pourrait être un médicament ciblant un gène ou une intervention ciblant un facteur environnemental comme le stress.

En bref, une compréhension plus approfondie de la génétique de la dépression nous mènera au-delà de la question de laquelle nous sommes partis : est-ce une question de nature ou d’éducation ? S’agit-il des gènes ou de notre environnement ? La réponse aura sûrement à voir avec les deux.

Les premiers Britanniques modernes avaient la peau « sombre, voire noire », révélations des analyses d’ADN de l’Homme de Cheddar

Le génome de l’homme de Cheddar, qui a vécu il y a 10 000 ans, suggère qu’il avait les yeux bleus, la peau sombre et des cheveux noirs et bouclés.

Article originel par Hannah Devlin, correspondante scientifique du Guardian.

Une reconstruction médico-légale de la tête de l’Homme de Cheddar, réalisée à partir de nouvelles preuves scientifiques et de son squelette fossilisé. Photographie de Channel 4.

Les premiers Britanniques modernes, qui vécurent il y a environ 10 000 ans, avaient la peau « sombre, voire noire », selon une étude révolutionnaire d’ADN réalisée sur le plus vieux squelette entier de Grande-Bretagne que l’on ait retrouvé.

Le fossile, connu sous le nom de Cheddar Man, a été déterré il y a plus d’un siècle dans la grotte de Gough, dans le Somerset. On a beaucoup conjecturé quant aux origines et à l’apparence de l’Homme de Cheddar puisqu’il a vécu peu de temps après que les premiers colons aient traversé les terres pour passer de l’Europe continentale à la Grande Bretagne, à la fin de la dernière période glaciaire. Les personnes blanches d’origine britannique d’aujourd’hui descendent de ces populations.

On avait commencé par supposer que Cheddar Man avait la peau claire et les cheveux blonds, mais son ADN brosse un tout autre tableau, qui suggère fortement que ses yeux étaient bleus, son teint très sombre — voire noir — et ses cheveux noirs et bouclés.
La découverte montre que les gènes responsables d’une peau plus claire se sont répandus au sein des populations européennes bien plus tard que prévu — et que la couleur de la peau n’a pas toujours été un indicateur de l’origine géographique, contrairement à ce que l’on croit souvent aujourd’hui.

Tom Booth, un archéologue du Musée d’Histoire Naturelle qui a travaillé sur le projet, a déclaré la chose suivante : « Cela montre vraiment que ces catégories raciales imaginaires que nous avons sont vraiment des constructions très modernes, ou très récentes, que l’on ne peut absolument pas appliquer au passé ».

Yoan Diekmann, un biologiste computationnel de l’University College de Londres, qui fait également partie de l’équipe travaillant sur le projet est d’accord : le lien que l’on établit souvent entre le caractère britannique et la blancheur n’était « pas une vérité immuable. Cela a toujours évolué et évoluera toujours ».

Les découvertes ont été révélées avant un documentaire de Channel 4, qui a suivi le projet d’ADN ancien du Musée d’Histoire Naturelle de Londres et la création d’une nouvelle reconstruction médico-légale de la tête de Cheddar Man.

Pour effectuer l’analyse d’ADN, les scientifiques du musée ont percé un trou de deux millimètres de diamètre dans le vieux crâne pour en obtenir quelques milligrammes de poudre d’os. Et c’est de là qu’ils ont extrait le génome complet, qui contenait des indices sur l’apparence et le mode de vie de cet ancien parent.

Les résultats indiquent des origines du Moyen-Orient, suggérant que ces ancêtres auraient quitté l’Afrique, se seraient installés au Moyen-Orient puis dirigés vers l’Europe, avant de traverser le Doggerland, l’ancien pont terrestre qui reliait à l’époque la Grande-Bretagne à l’Europe continentale. Aujourd’hui, il est possible qu’environ 10 % de l’ascendance britannique blanche soit liée à cette population ancienne.

Cette analyse a par ailleurs exclu la possibilité d’un lien ancestral avec les individus qui vivaient dans la grotte de Gough il y a 5 000 ans, individus qui sembleraient avoir accompli des rituels cannibales terribles, comme ronger des orteils et des doigts humains — sans doute après les avoir fait bouillir — ou encore boire dans des tasses crâniennes polies.
La Grande Bretagne a été colonisée périodiquement, puis défrichée au cours des périodes glaciaires jusqu’à la dernière de ces périodes, il y a environ 11 700 ans. Depuis lors, elle a toujours été habitée.

Cependant, jusqu’à présent, on ne sait toujours pas si chaque vague de migrants venait de la même population en Europe continentale ; les derniers résultats suggèrent que cela n’était pas le cas.

L’équipe s’est penchée sur des gènes connus pour être liés à la couleur de la peau, des yeux, et à la couleur et à la texture des cheveux. En ce qui concerne le teint, il existe une poignée de variantes génétiques liées à une pigmentation moindre, dont certaines très répandues dans les populations européennes actuelles. Mais Cheddar Man était doté de versions « ancestrales » de tous ces gènes, ce qui suggère fortement qu’il pourrait avoir eu le teint « sombre, voire noir », mais avec des yeux bleus.

Les scientifiques pensent que la peau des populations ayant vécu en Europe s’est éclaircie avec le temps parce que les peaux claires absorbent plus la lumière du soleil, ce qui est nécessaire pour produire suffisamment de vitamine D. Les dernières trouvailles suggèrent que la peau claire serait apparue plus tard, probablement lorsque l’avènement de l’agriculture a signifié que les gens obtenaient moins de vitamine D malgré le fait que leur régime alimentaire contienne des poissons gras.

Le mode de vie de l’homme de Cheddar était sûrement celui d’un chasseur-cueilleur, qui élaborait des lames tranchantes à partir de silex pour dépecer des animaux, et qui utilisait des ramures de cervidés pour sculpter des harpons destinés à la pêche, ainsi que des arcs et des flèches.

Le droit de ne pas savoir : quand l’ignorance est un bonheur… mortel

L’article original écrit par Anna Clausen, 2017 école de journalisme de U.C. Berkeley et student fellow au Pulitzer Center, est publié dans le site du pulitzercenter ici. Cette recherche a été soutenue par le Pulitzer Center.

Une sculpture d’ADN au siège de deCODE Genetics à Reykjavik. L’entreprise génétique affirme qu’elle possède toutes les informations nécessaires pour identifier avec précision presque toutes les personnes porteuses d’une mutation BRCA en Islande.


Une sculpture ADN ā deCODE Genetics, Reykjavik. La compagnie dit avoir les informations suffisantes pour identifier tous les porteurs de mutation BRCA an Islande. Avec la permission de Anna M. Clausen

REYKJAVIK—C’était son premier jour de vacances d’été, en 2015. Erna Ingibergsdóttir se prélassait chez elle, regardant ses deux plus jeunes enfants jouer. Et puis le téléphone a sonné. C’était au sujet de la protubérance dans son sein.

«J’étais tellement sûre que ce n’était rien», dit-elle. «Puis la dame qui m’a appelé a voulu que je passe chercher mes résultats».
Ingibergsdóttir a refusé. La dame devrait donc le lui dire par téléphone. Deux semaines plus tard, elle a subi une double mastectomie.
Avec son regard d’éternelle optimiste Ingibergsdóttir est presque trop positive. Lorsqu’elle a annoncé la mauvaise nouvelle à une amie, elle s’est empressée d’ajouter de bonnes nouvelles —elle allait pouvoir avoir « des seins canons ! ». Elle admet malgré tout que le traitement a été très lourd pour elle. Elle regarde par la fenêtre d’un café du centre-ville de Reykjavik, deux ans après le diagnostic, et son sourire omniprésent depuis maintenant 47 ans semble s’évanouir dans ses yeux.

«J’ai vraiment été très, très malade», dit-elle, le côté droit de ses lèvres tressaille. «La chimio c’était dur ; je ne recommande pas».
Dans la plupart des cas, de telles maladies ne peuvent être évitées. Mais il y avait de fortes chances d’éviter le cancer d’Ingibergsdóttir, sans le paradigme installé de longue date de l’éthique médicale : le droit de ne pas savoir.
Ingibergsdóttir est l’une des 2 400 islandais porteurs d’une mutation du gène BRCA2. Ce qui représente 0,8 % de la petite nation insulaire. La mutation, comme la mutation du gène BRCA1 est devenue célèbre grâce à un op-ed d’Angelina Jolie dans le New York Times. Elle a été associée à un risque fortement accru de cancer du sein et des ovaires pour les femmes, et de cancer de la prostate pour les hommes.
Les femmes porteuses d’une mutation BRCA2 ont en moyenne un risque de cancer du sein de 69 %. Pour certaines, selon les antécédents familiaux, le risque peut dépasser les 80 %. La bonne nouvelle est que le risque peut être réduit d’environ 90 % grâce à des chirurgies préventives, comme la mastectomie radicale qu’a subie Angelina Jolie. Ingibergsdóttir n’a jamais eu le choix.

Erna Ingibergsdóttir diagnostiquée avec un cancer du sein en 2015. Elle était porteuse d’une mutation sur le gène BRCA2. Avec la permission de Anna M. Clausen

Le gouvernement islandais propose un service de conseil en génétique relativement accessible. Mais à l’exception d’un seul parent connu, la famille d’Ingibergsdóttir n’a pas d’antécédents de cancer du sein, alors elle n’est jamais allée faire d’analyses. Comment aurait-elle pu savoir?
Aux Etats-Unis, une femme sur 500 est porteuse de mutations BRCA1 ou BRCA2. Collecter les données pour les retrouver toutes serait une tâche colossale. Mais en Islande, le travail a déjà techniquement été effectué. L’entreprise biopharmaceutique deCODE Genetics affirme avoir recueilli suffisamment de séquences d’ADN complètes pour connaître avec précision la composition de l’ADN de pratiquement tous les Islandais, une nation qui compte à peu près 340 000 individus. Au fil du temps, les Islandais ont préservé des registres généalogiques obsessionnels et la plupart d’entre eux peuvent retracer leur lignée pour remonter jusqu’à des ancêtres communs. Ces registres, associés aux séquences d’ADN des données cryptées de deCode signifient que l’entreprise détient des informations sur tous les porteurs de mutations BRCA possibles, même ceux qui n’ont jamais subi de tests génétiques ni participé aux études de la société.

Depuis 2013, Kári Stefánsson, le PDG de deCode, se bat pour contourner le droit de ne pas savoir, inscrit dans la loi. Il voudrait « appuyer sur un bouton » et découvrir l’identité de chaque porteur de BRCA du pays. Il pense que lorsqu’il s’agit de sauver des vies, la loi devrait être contournée ; toutes les personnes porteuses d’une mutation devraient être informées.
«Si quelqu’un disparaît sur les Hautes Terres nous envoyons des équipes de quelques centaines de chercheurs pour les trouver », dit-il. « On le fait sans leur demander la permission. On enfreint tout autant leur droit d’être laissés tout seuls que lorsque l’on tente de sauver les vies des gens qui portent ces mutations».

Stefánsson affirme qu’il n’est pas contre le droit de ne pas savoir. Il pense simplement que le droit de vivre est plus important.
«Je dirais que c’est un peu fou, un peu vicieux », dit-il. « On ne laisse pas les gens mourir si jeunes si on peut les aider, point final!»
Beaucoup de gens le voient de cette façon — mais, et c’est étonnant, Ingibergsdóttir n’en fait pas nécessairement partie. La plupart des membres de sa famille élargie a subi des tests génétiques pour le BRCA2, mais quelques personnes ne veulent toujours pas savoir, voire peut-être jamais. Parmi ces personnes, sa fille de 23 ans, dont la grand-mère paternelle est également porteuse d’une mutation.
Ingibergsdóttir ne veut pas faire pression sur sa fille. Après tout, elle est encore jeune et ces informations influenceront toutes ses décisions majeures à partir du moment où elle saura.
«Si j’avais su, je ne suis pas sûre que j’aurais eu mes deux derniers enfants », dit-elle. « Je ne veux pas répandre ça. Je me sens coupable en tant que mère».

Vigdís Stefánsdóttir, conseiller en génétique à l’Hôpital universitaire nationale d’Islande, a vu des personnes appartenant à des familles que l’on savait porteuses du BRCA2 venir pour un diagnostic jusqu’à 20 ans après la découverte de la mutation. Dans son tiroir, elle a beaucoup de dossiers contenant des informations sur les gens qui sont venues mais n’ont jamais terminé le processus. Parfois, elle rappelle et rappelle les gens, lorsqu’elle est en possession de leurs résultats de tests sanguins, sans jamais arriver à les contacter.
«Alors je laisse filer et je range le dossier dans le tiroir», dit-elle. «Parce que je sais que le la personne qui a consulté n’est pas prête à connaître les résultats».

Vigdís Stefánsdóttir rencontre des Islandais qui veulent savoir si Ils ont porteurs d’une mutation BRCA2. Avec la permission de Anna M. Clausen

Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles quelqu’un fait marche arrière, dit Stefánsdóttir. Savoir ce que prédisent nos gènes peut sauver des vies, mais cela peut également mener à une existence pleine de préoccupations et de problèmes de santé mentale quand les personnes porteuses sont dans l’attente. Elle prétend que seul le patient peut décider si le moment est venu.
«La règle est la suivante : moins on peut en faire pour la maladie, moins les gens veulent savoir s’ils sont en danger. C’est le cas avec Alzheimer : chaque fois que l’on oublie quelque chose, que l’on oublie ses clés quelque part – attendez, les symptômes ont-ils commencé? C’est un peu la même chose avec les gènes BRCA. Si je ressens une douleur dans la poitrine, est-ce que c’est le premier signe d’un cancer du sein?»
Elle dit que l’information transforme les gens —une fois que l’on sait, il n’y a pas de retour en arrière.
«Je n’aime pas parler du droit de ne pas savoir. Le droit de savoir c’est quand c’est bien pour vous».
Cela sonne particulièrement vrai pour Íris Katrín Barkardóttir, qui a 31 ans et a attendu presque dix ans pour faire un diagnostic. Sa mère, décédée d’un cancer au mois de mars 2011, avait raconté qu’elle était porteuse de la mutation quand Barkardóttir avait 20 ans. Elles avaient toutes les deux décidé qu’elles ne voulaient pas savoir.

«Etre vivant c’est mortel, et si on pense toujours aux « et si », on se retrouve coincé dans un cycle d’angoisses», dit-elle. «Je souffre d’anxiété alors j’essaie de faire taire ces pensées, mais elles réapparaissent évidemment».
Assise dans sa cuisine lumineuse dans le quartier de Laugardalur à Reykjavik, Barkardóttir caresse avec amour un petit chiot blanc installé sur ses genoux, se réconfortant autant qu’elle réconforte le chien pendant qu’elle raconte son histoire.
Elle a vu sa mère passer par une chimiothérapie atroce et par de multiples traitements de radiothérapie, et perdre à un moment donné la peau de ses mains et de ses pieds. L’expérience l’a marquée mentalement et l’idée d’avoir à traverser tout ça était trop dure à vivre. Le droit de ne pas savoir l’a emporté sur celui de savoir.

Cependant, Barkardóttir en est venue à changer d’avis. Elle a fini par faire un test à 29 ans, et il lui a fallu un certain temps pour programmer son premier examen des seins. Lorsque l’image de l’IRM a montré une tâche sur son sein, elle a fondu en larmes.
«J’ai pleuré pendant 24 heures d’affilée », dit-elle. «Je me sentais comme une bombe à retardement».
Elle était convaincue qu’elle allait mourir et rongée par les remords. Pourquoi n’y était-elle pas allée plus tôt ? Elle devait passer d’autres examens la semaine suivante mais a supplié l’équipe médicale du service de dépistage de reporter son rendez-vous au lendemain.
En fin de compte, la tâche s’est avérée être une fausse alerte.
Barkardóttir a l’intention de se faire faire une mastectomie préventive et envisage également une ovariectomie (ablation chirurgicale des ovaires), plus tard dans sa vie. Pendant cette période où elle pensait qu’il était trop tard, elle aurait aimé que quelqu’un lui impose des informations, mais aujourd’hui elle est contente de pouvoir contrôler le timing.

«J’ai traversé des moments difficiles après le décès de maman et je ne pouvais pas alors avoir ce nuage infernal planant au-dessus de ma tête. C’est quelque chose qui demande une certaine maturité mentale. Il était pour moi crucial de ne pas savoir plus tôt».
Bien sûr, pour Barkardóttir, c’est facile à dire, maintenant. En ne sachant pas, elle s’est évité dix ans d’examens du sein crispants et d’être transie de peur. Mais qu’est-ce que vivre avec la peur ou subir des opérations potentiellement inutiles, par rapport à ne pas vivre du tout? Qu’en est-il de ceux qui ne savent pas jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard? Un comité gouvernemental travaille à un terrain d’entente.

«Le groupe est d’accord sur le fait que les droits de ceux qui ne veulent pas savoir — une posture qu’il est très important de respecter — ne doivent pas faire obstacle à ceux qui veulent savoir et qui en ont besoin », dit le président du comité, Sigurður Guðmundsson, Directeur Médical; il ajoute qu’il est de la plus haute importance que ce problème soit résolu.
«Nous avons longuement discuté du consentement présumé, mais on nous a fait remarquer que tous les chemins visibles allaient vraiment à l’encontre des lois sur la protection de la vie privée — et de la constitution.»
Le comité a donc cherché d’autres moyens de combler le vide. En fait, aux dires de Guðmundsson, une solution impliquant un portail national de la santé semblerait être en vue.

Íris Katrín Barkardóttir a attendu près de 10 ans avant de décider de savoir si elle était porteuse d’une mutation BRCA2. Avec la permission de Anna M. Clausen

Les informations génétiques provenant d’études scientifiques, comme les informations sur les personnes porteuses de mutations BRCA, pourraient être non-cryptées et téléchargées sur le site du portail, où les utilisateurs pourraient avoir accès à leur dossiers médicaux. De nos jours, l’une des principales préoccupations concerne les personnes qui ne savent pas qu’elles devraient se faire examiner, mais le portail mettrait cette suggestion au tout premier plan. Au lieu d’avoir à chercher des réponses dans un établissement médical, les utilisateurs pourraient accéder en un clic à l’état de leurs gènes BRCA ainsi qu’à des instructions sur la façon de procéder.
L’idée n’est pas parfaite. Tout d’abord, il est préférable de recevoir une mauvaise nouvelle en personne de la part d’un professionnel de la santé plutôt que de la lire sur le net, peu importe le matériel d’aide fourni. Cette démarche résout en revanche la question de l’intrusion et donne du pouvoir à l’individu.

Il faut aussi que les chercheurs puissent fournir ce genre d’information aux personnes qui le souhaitent, dit Guðmundsson. Indépendamment de la façon dont est reçue l’information, il dit que chacune de ces personnes devrait toujours être orientée vers un conseiller pour un diagnostic plus approfondi. « Il existe d’autres approches, mais probablement aucune qui ne soit meilleure que celle-ci ».
Stefánsdóttir est d’accord. Si la société décidait qu’elle veut en fait que les chercheurs informent les gens des risques pour la santé chaque fois qu’ils en rencontrent, il faudrait mettre en place tout un système, non seulement pour le droit de ne pas savoir, mais aussi pour des questions de logistique.

«Un système qui permet à chacun de décider où, quand, et dans quelles circonstances nous accédons à l’information», dit-elle. Elle ajoute que la découverte constante est inhérente à la recherche.

«On ne peut pas espérer des chercheurs qu’ils contactent chaque participant chaque fois que cela se produit».

L’article original écrit par Anna Clausen, 2017 école de journalisme de U.C. Berkeley et student fellow au Pulitzer Center, est publié dans le site du pulitzercenter ici. Cette recherche a été soutenue par le Pulitzer Center.