Qui sommes-nous et comment sommes-nous arrivés ici ? David Reich — de nouvelles découvertes grâce à l’ADN ancien

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Dans une étude fascinante, le généticien montre les effets des migrations et la nature métisse de l’Humanité grâce aux progrès du séquençage de l’ADN.

 

« Selon une étude d’ADN ancien, l’arrivée des peuplades du campaniforme a transformé la Grande Bretagne pour toujours » — voilà ce que titre le Guardian au mois de février, à propos de gens dont les ancêtres se trouvaient en Europe Centrale et plus à l’est dans les steppes. L’auteur de cette étude, le généticien de Harvard David Reich, nous livre enfin dans son ouvrage la première ébauche d’une histoire vraie des 5 000 dernières années.

La génétique a commencé à complémenter le travail effectué par les archéologues et les linguistes dans les années 1990, grâce à l’œuvre du mentor de Reich, le généticien italien Luca Cavalli-Sforza ; la génétique était alors le parent pauvre de ces disciplines car elle ne possédait que très peu de données. Mais cela a bien changé. Le génome est un palimpseste qui conserve de fortes traces du passé, de sorte que les populations actuelles peuvent révéler des choses ayant à voir avec les mouvements de celles qui les ont précédées. Ce qui a tout changé, c’est la possibilité, dès 2010, de séquencer l’ADN directement à partir des restes d’êtres humains anciens, parfois vieux de 40 000 ans.

Reich revisite les récentes avancées de la cartographie de l’histoire des premiers Humains, mais ses découvertes les plus spectaculaires concernent un passé plus récent. Les développements les plus importants de l’histoire humaine ont eu lieu au cours des 10 000 dernières années — après le retrait glaciaire — et pour l’Europe, les 5 000 dernières années sont essentielles. Bien que les études d’ADN ancien aient maintenant largement dépassé l’archéologie et la linguistique pour devenir la meilleure source de connaissance des populations humaines préhistoriques et de leurs migrations, elle s’articule avec ces deux disciplines au sein d’un processus où elles se renforcent les unes les autres.

Le travail de Reich peut enfin répondre à la question passionnante qu’avait d’abord posée un fonctionnaire britannique, Sir William Jones, qui a découvert en 1786 le lien de parenté entre le sanscrit et le grec ancien. Ce qui a conduit à la reconnaissance d’une vaste famille de langues indo-européennes qui comprend les langues germaniques, celtiques, italiques, certaines langues du Proche-Orient (l’iranien) et du nord de l’Inde (Hindi, Ourdou, Bengali, Punjabi, Marathi, etc.). Cependant, il n’existait pas à l’époque de consensus sur la façon dont tout cela avait pu se produire. Reich a démontré que les langues indo-européennes et la majeure partie de la composition génétique de l’Europe et du nord de l’Inde résultent de migrations datant d’il y a 5 000 ans, des migrations provenant des vastes steppes, ces plaines herbeuses qui bordent les mers Noire et Caspienne.

Sépulture campaniforme – Image du Musée de la Préhistoire des Gorges du Verdon

La plupart des personnes d’origine européenne entretiennent des liens génétiques et linguistiques étroits avec les peuples du Proche-Orient et ceux du nord de l’Inde. Ces gens étaient des pasteurs nomades qui conduisaient des véhicules à roues, montaient des chevaux domestiqués et commençaient à utiliser des produits laitiers — un ensemble de caractéristiques qui devait garantir leur domination partout où ils allaient. Leurs migrations ont été le moteur de l’âge de Bronze. Homère décrit une société où les chefs de guerre gagnaient en prestige et en richesses en perpétrant viols et pillages. Ce n’est pas très agréable à entendre, mais c’est très conforme à ce que nous savons aujourd’hui des porteurs de la culture de Yamna (les peuples du campaniforme représentaient la vague occidentale des migrations Yamna). A propos de leurs migrations à prédominance masculine, Reich commente : « les hommes des populations les plus puissantes ont tendance à se lier avec les femmes de populations moins puissantes ».

Il reconnaît, et c’est tout à son honneur, les abus commis à partir des histoires d’origines — notamment par l’idéologie nazie — et reconnaît que certains idéologues voudront exploiter — et contester — ses découvertes. Il est fascinant de savoir que la plupart des personnes d’ascendance européenne possèdent des liens étroits, génétiquement et linguistiquement, avec les peuples du Proche-Orient et du nord de l’Inde, mais qu’en est-il globalement et quelles sont les implications de ces nouvelles découvertes ?

La leçon essentielle à tirer de l’ADN ancien est que les populations d’un même endroit ont radicalement changé à plusieurs reprises depuis la grande expansion humaine post-glaciaire, et le fait de reconnaître la nature essentiellement hybride de l’Humanité devrait l’emporter sur toute notion de connexion mystique, de longue date, entre les peuples et l’endroit où ils se trouvent. Nous sommes tous, pour reprendre l’étiquette railleuse de Theresa May, « des citoyens de nulle part ». Les gens du campaniforme ont remplacé 90 % de la population de la Grande-Bretagne il y a environ 4 500 ans. Il faut ajouter à cela l’idée que toute vie, depuis ses débuts, a été un processus essentiellement improvisé et impur. Comme l’indique Reich : « les idéologies qui cherchent un retour à une pureté mystique volent en éclat face aux sciences dures ». Ses découvertes ont aussi d’importantes implications pour le domaine médical. Par exemple, ses recherches en Inde ont montré les conséquences profondes de la consanguinité des systèmes de castes. Il existe par exemple un très grand nombre de maladies récessives — dans certains couples les deux partenaires portent des gènes mutants inscrits depuis longtemps dans la lignée. Ces populations facilitent la chasse aux gènes parce que les gènes récessifs s’accompagnent de marqueurs caractéristiques.

L’image globale peinte par de Reich acquerra avec le temps beaucoup plus de détails — tout comme la grande étude de Darwin, qui n’était que le début de quelque chose, et non pas une fin. Nous devrions lui être reconnaissants, ainsi qu’à sa grande équipe de collaborateurs et à son épouse Eugenie Reich (écrivain scientifique qui a joué un grand rôle dans la création de son ouvrage) puisqu’ils nous transmettent aujourd’hui l’histoire essentielle. Leurs travaux sont captivants, tant par leur clarté que par leur portée.